[J-6]
Trouvé mort…un rameau de guignier à la main…
Montpollin, 16 juillet 1634
Ce jour-là, Etienne Marchand n’eut pas de chance. Pourtant, ces derniers temps, tout lui souriait. Il venait, quelques mois plus tôt, d’emménager avec sa famille dans une plus grande maison, non loin de sa première demeure. Ce dimanche-là, il avait décidé d’aller voir si son ancien champ, celui de la Martinière, qu’il avait semé l’hiver dernier et qu’il avait donc le droit de récolter, était mûr pour la moisson. Il en avait profité pour assister le matin à la Grande Messe de Montpollin et ainsi saluer le curé et toutes ses anciennes connaissances. Chacun avait été ravi de le revoir en si grande forme… De retour vers son ancienne closerie, il avait alors aperçu les cerisiers. Désormais, il ne pourrait plus en profiter. Il s’était donc permis, une dernière fois, de les goûter. Peut-être même pourrait-il en rapporter à ses enfants… Hélas, le fragile fruitier ne soutint pas son poids. Il chuta et mourut, un rameau de guignier à la main… Quelle guigne !
Une guigne est, selon Littré, une cerise :
- s.f. : Cerise douce d’une forme assez semblable au bigarreau, mais plus petite, et dont la chair est d’un rouge noir et très sucrée.
J’imagine donc qu’un « guignier » est le nom que l’on donnait à certains cerisiers.
Cette jolie petite cerise, utilisée pour fabriquer le « Guignolet », prend par la suite, je ne sais pas par quel chemin, le sens de « mauvais sort », « malchance ». L’expression « avoir la guigne » signifie donc « avoir la poisse ».

Le seziesme jour de juillet mil six cent trante et quatre a esté ensepulturé le corps de deffunct Estienne MARCHAND, le quel fut trouvé mort soubz ung guigner d’où il tomba apres avoir esté à notre grande messe le mesme jour de dimanche, dont il luy fut trouvé ung rameau dudit guigner en la main dans l’ouche* de la Martinnière en laquelle il esperoit faire son bled le lundy ensuivant, de laquelle closerie de la Martinnière, il avoit sorty à Pasques dernier et estoit allé demurrer à Fougeré. Faict par nous curé le jour de lundy xvii è dudit mois et an que dessus.
[* Ouche : n. m., Terrain voisin de la maison et planté d’arbres fruitiers. Littré]
Curieusement, l’année suivante, dans la même paroisse, c’est d’un noyer que tombe un autre homme. Le curé donne là-aussi des détails précis et même touchants, en particulier que l’infortuné mourut « dans les bras de sa femme »…
Décidément, il ne fait pas bon grimper aux arbres de Montpollin !


Un billet par jour, n’est-ce pas merveilleux ? j’aime beaucoup tous ces détails… Merci et bravo !
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C’est seulement jusqu’à Noël, encore quelques jours…
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Quel plaisir !
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La chute de ce pauvre Étienne illustre bien le fondement de cette expression. Et dire que gamin, j’ai passé mes fins d’année scolaire à grimper dans les « guigniers » de ma banlieue, sans me rendre compte des risques que je prenais. Je craignais plutôt d’être repéré par les propriétaires …
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« Avoir la guigne » Ne serait-ce pas parce que autrefois les chutes des échelles , accidentelles et parfois mortelles étaient fréquentes à la saison de la cueillette des cerises. Car les cerisiers étaient très hauts , ce n’étaient pas des arbres basses tiges, que l’on connaît aujourd’hui .
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Cela serait une belle étymologie, mais il semble que cela n’ait rien à voir. « Porter la guigne » ou « avoir la guigne » seraient plutôt issues du verbe « guigner » (var. guignier), qui signifiait « faire signe de l’oeil », mais aussi « regarder attentivement, convoiter »… d’où une idée de « mauvais-oeil » qui est passée dans l’expression « avoir la guigne ».
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D’accord avec vous, en Anjou, j’ai dans ma jeunesse entendu dire « il l’a guigne ». Peut-on aussi évoquer que 232 ans après Jean-Baptiste Clément composa « Le temps des cerises » (musique d’Antoine Renard) et il est aussi célèbre pour « Dansons la capucine »… Mais mieux vaut ne pas la danser dans les branches hautes de mon cerisier que je confie à un voisin quand je guigne des guignes !
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C’est chaque jour un plaisir de vous lire. En tout cas, le curé avait le sens du détail ! De très belles fêtes à vous.
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Merci. Très joyeux Noël à vous aussi et bonnes fêtes de fin d’année.
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