René d’Anjou, La Fête-Dieu, 1905

Deuxième texte angevin que j’ai eu envie de ranimer et dont l’auteur me tient particulièrement à coeur. A découvrir à la fin de cet article !

L’Art de Vivre

La Fête-Dieu

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Carnet de La Femme : Les Femmes du XXe siècle, 30 mai 1905, Année 4, numéro 12)


En province, dans les campagnes, on célèbre encore avec pompe la procession du Saint-Sacrement. Les maisons sont ornées de fleurs, les enfants en gracieux costumes, cierges en mains, suivent heureux et recueillis, la longue théorie qui circule sous le ciel bleu allant vers le reposoir illuminé et fleuri, d’où partira bientôt, avec les chants et la fumée de l’encens, le geste solennel d’une bénédiction.

Cette cérémonie date de bien loin, son origine est belge : de fut une religieuse hospitalière de Cornillon, près Liège, qui en eut la première idée. En une vision d’extase, elle aperçut un croissant splendide dont la courbure avait une brèche, et il lui sembla que l’explication devait être : le manque d’une fête au calendrier. Elle songea alors à la fête du Saint-Sacrement. L’évêque de Liège soutint son projet sans le voir réussir, et ce fut plus tard, sœur Ève, recluse de Saint-Martin de Liège, qui put faire agréer au pape Urbain IV, que la Fête-Dieu, fut célébrée dans toute la chrétienté, le jeudi après l’octave de la Pentecôte.

Mais il faut arriver au temps de René d’Anjou pour voir, dans tout son pittoresque, les fêtes et les jeux de cette institution.

Le roi, dépossédé de son royaume de Naples et de Sicile, réfugié à Aix en Provence, y tenait une cour brillante où il protégeait magnifiquement les lettres. Beau-frère de Charles VII, oncle de Louis XI, gendre du roi d’Angleterre Henri de Lanéastre, il conservait, plus que tous ces monarques, un entourage intellectuel, épris d’art, de littérature, de poésie. Il imagina les scènes de la Fête-Dieu, dessina les costumes, fit des airs naïfs et l’on joua, dans tous les carrefours des pantomimes à la fois profanes et religieuses.

On représenta pour la première fois, cette pièce étrange en 1642. Elle fut reprise d’année en année et dura jusqu’en 1790. Voici à peu près le programme que la tradition nous a conservé : trois personnages choisis parmi les plus importants de la ville, figuraient les trois-ordres et présidaient chaque année aux jeux de la fête Dieu. C’étaient : le prince Amour, pour la noblesse ; l’abbé de la Jeunesse, pour le clergé, et le roi de la Basoche, pour le tiers-état. La veille de la fête, le roi de la Basoche et l’abbé de la Jeunesse parcouraient la cité, précédés de galoubets et de tambourins, et se rendaient à l’hôtel de ville pour se joindre à la procession nocturne, appelée : Lou-Gué.

Cette étrange cavalcade comprenait les dieux de l’antiquité païenne : l’Olympe et les Enfers. La Renommée ouvrait la marche, vêtue d’une robe jaune, de laquelle sortaient deux grandes ailes d’oie, au cou, une fraise, au bonnet rouge, quatre petites ailes, aux mains, la trompette. Puis Pluton en robe noire flammée, Proserpine en deuil, torche au poing. Neptune en vert d’eau, les Nymphes, les Satyres, le dieu Pan. Apollon jouant de l’archet, puis le maître des dieux couvert d’une tiare blanche, un bouquet de plumes de paon devant lui. Vénus l’accompagne entourée des Jeux, des Ris, des Plaisirs. Derrière le char viennent les trois Parques : Clotho tient une quenouille, Atropos coupe avec de grands ciseaux, à chaque instant, le fil que lui tend Lachéris. Tous ces personnages passent à cheval et occupent les rues jusqu’à minuit.

Aux premiers rayons du jour, le bon roi René fait apparaître le Christianisme sortant radieux des ténèbres du passé, la mythologie n’est plus, voici la représentation des pieuses légendes de L’Ancien et Nouveau Testament. La Reine de Saba s’avance, habillée comme une dame du XVe siècle, elle vient visiter Salomon, qui danse devant elle, au son du tambourin, avec des grelots aux jarretières, et en main une épée surmontée d’un minuscule temple de Jérusalem. Plus loin « la belle Etoile », portée au bout d’un bâton, guide les rois Mages, puis Moïse, le Veau d’or autour duquel dansent les Israélites – ce veau est figuré par un malheureux matou qui, hissé sur une planchette, au bout d’un bâton, miaule et roule des yeux désespérés. – Hérode paraît, couronne en tête, un soleil d’or sur la poitrine, il est suivi d’enfants en chemise, d’un fusilier et d’un tambour. A un signal, le fusil part et les enfants tombent les uns sur les autres, c’est le massacre des Innocents.

Les apôtres se présentent : Judas en tête, tenant la fatale bourse, saint Paul avec une épée, d’autres portent des attributs divers, et le Christ les suit, traînant sa croix.

Satan et sa cour font partie du cortège. Ils ont des fourches, des cornes, des grelots : cette troupe maudite poursuit Hérode pour le punir du massacre des Innocents.
Une autre scène pittoresque marque un des groupes : c’est la « petite âme ». Un adolescent en blanc, les cheveux épars, s’avance avec une croix qu’il embrasse, escorté de son ange gardien ; des diables le harcèlent avec des bâtons, son ange le défend et met l’enfer en fuite.
Les lépreux passent en dansant – tout le monde danse en cette procession – puis saint Christophe avec l’Enfant Jésus assis sur son épaule, enfin la Mort termine la procession et balaye le sol de sa faulx.

Telles est l’histoire inventée par le roi qui mérité le surnom de « Bon ». Elle fut jouée à l’infini, des souvenirs même vivent encore de  ses singuliers épisodes. Par exemple, en Espagne, la procession de « Corpus » possèdes des « Séis » – enfants de chœur – qui dansent autour de l’Arche d’alliance.

A Angers – malgré les difficultés actuelles – la procession du Saint-Sacrement s’accomplit toujours avec une grande solennité. Le cortège traverse la ville décorée d’arcs de triomphe en mousseline et en fleurs, pour se rendre au reposoir situé sur le tertre Saint-Laurent. Autrefois René d’Anjou suivait encore cette procession, il marchait en tête des ménétriers et de la corporation des pêcheurs de la Maine, qui l’avaient surnommé le « Roi des Gardons ». Il portait en main un cierge.

Aujourd’hui les temps sont changés… mais puisque la roue tourne, comme tout ce qui est dans l’univers d’ailleurs, y compris les humains…

René D’Anjou


L’auteur

René d’Anjou, de son vrai nom, Marie Renée Joséphine MESLET, était la fille de René François MESLET, propriétaire, originaire de Savennières, et de Julie PERROT d’ABLANCOURT. Elle naquit le samedi 1er octobre 1853 à Angers, au numéro 3 de la Rue Belle-Poignée. Son père était alors âgé de plus de 70 ans tandis que sa mère en avait à peine 30. Sa mère, précisément, était la fille d’un ancien officier de l’Armée d’Anjou, Jean PERROT d’ABLANCOURT et la femme de ce dernier, Julie de REVILLE, grand-mère de Renée, lui conta pendant toute son enfance les hauts faits de son mari au cours des guerres de Vendée.

C’est en mêlant plusieurs de ces noms qu’elle créa son nom de plume, ou plutôt, ses noms de plume. On la rencontre en effet sous différents pseudonymes, tels que René D’Anjou ou Pierre d’Anjou, mais aussi Perrot D’Ablancourt, ou encore, R.M. Gouraud d’Abancourt, pour Renée Marie Gouraud d’Ablancourt. (Gouraud est le nom de son mari, Georges François Gouraud, un riche industriel qu’elle épousa en 1872 à Angers).

C’est en participant au défi #JeLaLis que j’ai découvert ce personnage haut en couleurs et aussi romanesque que ses écrits.  Ces derniers sont très nombreux et quasiment oubliés. Ils furent, pour la plupart, publiés d’abord en feuilletons dans différents journaux et revues de l’époque, comme Véga la Magicienne, roman publié en 1912, mais qui parut pour la première fois en feuilletons sous le titre L’Oiselle ou Royale énigme dans l’hebdomadaire féminin La Mode du Petit Journal en 1909, puis, toujours en feuilletons,  dans L’Indépendant du Cher sous le titre cette fois de Véga La Magicienne, en 1911. C’est sous cette version que ce roman est désormais accessible sur Wikisource, grâce au défi « JeLaLis et aussi un peu grâce à moi. (Lire en ligne)

Vous pourrez y découvrir L’Oiselle, alias Véga de Ortega, ou encore Ladybird, véritable super-héroïne avant l’heure. Grâce à quelques objets conçus par une organisation secrète, technologiquement très avancée et nommée Les Compagnons de l’étoile Noire, Véga possède plusieurs pouvoirs. Outre le fait qu’elle ignore la peur, puisque cette émotion lui a été enlevée à l’aide d’une éducation singulière, elle a le pouvoir de voler et de s’élever dans les airs, non seulement pour quelques heures mais parfois pendant des journées entières, en revêtant un costume créé spécifiquement pour elle. Ce costume, qu’elle emporte partout avec elle, n’est pas sans évoquer celui – beaucoup plus récent mais qui a bercé mon enfance – de Fantômette…

Mais je suis loin d’en avoir fini avec Renée Gourand d’Ablancourt. Outre sa biographie, que j’enrichis presque chaque jour, et qui est un véritable roman, j’aimerais vous présenter aussi sa généalogie, si riche en rebondissements et si stupéfiante que je ne sais pas encore si j’oserais la publier ! Et puis, il y a aussi un autre de ses romans que j’adore et qui me fait frémir et frissonner de plaisir à chaque page,  parce qu’il évoque à la perfection la vie de mes ancêtres, bien que de manière fort stéréotypée et totalement manichéenne, et  je brûle d’envie de partager ce plaisir avec vous…


Petite bibliographie en ligne

En attendant, voici les textes de Renée Gourand d’Ablancourt qu’il est possible de lire en ligne :

Sur ce blog :

René d’Anjou, Autour du Nid, Nouvelle parue en feuilletons dans La Jeune mère ou l’éducation du premier âge. Journal illustré de l’enfance. 23ème année, n°268, 1896

René d’Anjou, Légendes d’après l’Eden, Nouvelles parues dans Carnet de la Femme : les femmes du XXème siècle, 30 janvier 1905 (4ème année, numéro 4)

René d’Anjou, La Fête-Dieu, Chronique parue dans Carnet de La Femme : Les Femmes du XXe siècle, 30 mai 1905, Année 4, numéro 12)

René d’Anjou, La Parisienne aux Sables, Chronique parue dans Carnet de la Femme : les femmes du XXème siècle, 15 octobre 1906 (6ème année, numéro 26).

Sur Wikisource :

Renée Gouraud, Dieu et Patrie, La Croix, 1897.

René d’Anjou, Véga La Magicienne, L’Indépendant du Cher, 1911.

Sur Gallica :

René d’Anjou, Vagues d’Amour, Librairie des Romans Choisis, 1918.

Gouraud d’Ablancourt, Un éclair dans la nuit, Reims : Hirt et Cie, 1926.

Gouraud d’Ablancourt, En Aragon, Reims : Hirt et Cie, 1926.

Gouraud d’Ablancourt, La Route Perdue, Reims : Hirt et Cie, 1930.

Souvenirs du général comte de Rumigny, aide de camp du roi Louis-Philippe (1789-1860) / publiés par R. M. Gouraud d’Ablancourt, 1921.

Ailleurs

René d’Anjou, « La Vie d’une mondaine en 1977 », in La Jeune Mère ou l’éducation du premier âge. Journal illustré de l’enfance, n° 289, 1897. (Sur le blog ARCHEOSF et RETRODRAMA).

2 réflexions sur “René d’Anjou, La Fête-Dieu, 1905

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