Pourpre mortel

Calendrier de l’Avent 2024 – Jour 2

Saint-Germain-en-Moine, 1719 – Observation sur les registres à la fin de l’année 1719.

A Saint-Germain-sur-Moine, l’année 1719 fut calamiteuse. Une grande sécheresse entraîna une épidémie de dysenterie et de pourpre, causant la mort d’au moins cent vingt personnes.

Saint-Germain-en-Moine – BMS – 1711-1720, vue 100/113 – (AD49).

Dans cette Année mil sept cent dix neuf les chaleurs aiant commencé dès le fin d’avril et aiant toujours continué d’une maière excessive sans qu’il soit presque tombé de pluye jusque dans le mois de septembre, la terre est devenue si seche et si aride que presque tous les puits sont taris, et les fosses et reservoirs desséchés, de sorte que toutes sortes de Bêtes allants boire dans ce peu d’eau qui se trouvait par endroits l’ont fait corrompre ; ce qui a causé tant de peine que le metayers eloignés ont eté obligés de venir à l’etang querir de l’eau en bariques avec des charettes pour abbreuver les bestiaux, aussi bien qu’à la rivière ; mais toutes ces eaux qui etoient en petite quantité – en particulier dans ces étangs de la Foye, ont eté bientost corrompues par le grand nombre de bestiaux qui y abondaient, joint à cela les lescives qu’on y lavoit, d’où vient que la dysenterie s’étant mise dans le pays meslée de pourpre, s’est communiquée si facilement qu’il y a eu peu de familles qui n’en aye eté affligées et dont la pluspart ne soient morts, car comme on ne traitoit que pour la dysenterie et point du tout malheureusement pour le pourpre, peu de malades en sont revenu.

Chose triste et pitoyable à entendre et encore plus à voir, car outre que personne ne vouloit soulager les malades, c’est que personne ne se trouvoit pour porter les corps les uns de chéz les autres, et cela a duré depuis la fin de juillet, aoust, septembre, octobre, d’une manière surprenante et ensuite s’est appaisé doucement jusqu’à la fin de l’année, que ces maladies par la grace de Dieu ont finy.

Il est aysé de voir par là qu’on a eté obligé d’ajouter du papier à ce livre de registre, puisqu’il est tant mort de personne. L’on en enterrait jusqu’à cinq et six par jour et l’on peut dire à la louange de Monsieur LE JEUNE recteur et de Monsieur THIBAUD vicaire que leur zèle s’est fait eclater d’une manière toute particulière à visiter tous ces malades, jour et nuit, sans cesse, à administrer les sacrements et leur charité à les soulager et à leurs subvenir dans leurs necessité. (Il y eut dans cette présente année 120 enterrrement.)


Notre témoin décrit parfaitement les liens qui unissent les phénomènes de sécheresse et l’apparition des épidémies – de nos jours toujours d’actualité, hélas, dans certaines régions du monde. Il décrit également les grandes difficultés rencontrées par les éleveurs pour abreuver leurs bêtes ; ainsi, on imagine les chanceux, ceux qui possédaient et charrettes et barriques, nécessaires pour aller quérir de l’eau à l’étang, et ceux qui n’avaient rien de tout cela, et qui devaient donc, consternés, voir leurs bêtes mourir de soif sous leurs yeux !

On imagine les mourants, réclamant de l’aide pour être soulagés dans leurs derniers instants, restant seuls, abandonnés par leurs amis, leurs voisins ou même leurs parents, ces derniers ayant tous trop peur d’être contaminés à leur tour. On imagine ces amis, ces voisins, ces parents, morts tout de même, dans leurs lits, dans leurs maisons ou dans leurs champs, sans personne pour les porter au cimetière…

L’explication qui consiste à justifier le grand nombre de morts par l’absence de traitement sur le pourpre est cependant assez curieuse. On utilisait le mot « pourpre » pour désigner certaines maladies qui se manifestent par des taches pourpres sur la peau, comme la rougeole ou la scarlatine, mais aussi la fièvre typhoïde qui donne également des taches rosées sur la peau ou bien encore la petite vérole. Quelle est réellement la maladie apparue cette fois-là en même temps que la dysenterie ? Difficile de répondre à cette question. Quoi qu’il en soit, en l’absence d’antibiotiques, les traitements donnés, même s’ils avaient été différents, n’auraient sans doute pas changé pas grand chose à l’issue souvent fatale de la maladie…


Notes

GARNIER Emmanuel, Bassesses extraordinaires et grandes chaleurs. 500 ans de sécheresses et de chaleurs en France et dans le pays limitrophes. Colloque, 2009. (Voir la page 9 en particulier.)

Closier numéro ? ( A retrouver – Je suis quasi certaine d’avoir lu cette observation dans un numéro du Closier, mais … lequel ???)

6 réflexions sur “Pourpre mortel

    1. Bonjour,

      Je suis désolée de répondre sur le lien « répondre à Christelle », c’est le seul que j’ai pu trouver. Il n’y a plus aucun lien pour répondre directement, ni sur les posts de Rose-Virgule. Curieux…

      Je connais bien ce texte car dans les années 70, mon grand-père, secrétaire de mairie de ce village duquel sont originaires tous ses ancêtres, avait accès à tous les registres, puisque c’était lui qui les écrivait. Il avait fait la généalogie de sa famille (chapeau sans ordinateur à l’époque) et recueilli et recopié tous les documents qu’il avait pu trouver sur l’histoire de cette commune.

      Bien plus tard, maman et moi avons complété son travail, moi avec un logiciel, ce qui m’a permis de chercher plus large dans les cousins.

      Dans ma branche, tout le monde est sorti indemne de cette épidémie. En revanche, un cousin de mon sosa de cette époque perdit son épouse et dix de ses onze enfants. Il survécut seul avec sa fille aînée.

      En reprenant les documents de mon grand-père, qui, entre autres, liste les lieux de la commune, j’ai pu faire la supposition forte que ceux qui utilisaient l’un des étangs (le plus grand) étaient contaminés, tandis que mon aïeul, métayer et régisseur du château, avait probablement accès au puits du château.

      J’ai malheureusement jeté ce travail, qui n’avait pas abouti à une réponse claire, selon moi, mais à l’époque, il y a plus de vingt ans, je débutais dans la généalogie. Je pense maintenant qu’il faudrait que je le reprenne et qu’on ne peut établir que des tendances, une surmortalité de ceux qui s’abreuvent dans cet étang, établie à partir de leur domicile, sachant que certains, sans puits ou autre solution, pouvaient y venir de plus loin, et également qu’on pouvait se rendre visite, travailler/ rendre service chez le voisin, un oncle etc.

      Travail titanesque car il serait bien d’établir les liens familiaux de tous les habitants de la commune, plus facile à faire à ce jour en consultant Généanet, bien plus fourni qu’à l’époque, au lieu de rechercher à partir de rien.

      Je n’ai pas réussi à identifier la maladie en demandant à deux médecins actuels ; peut-être plusieurs maladies sévissaient-elles en même temps ? C’est ce que semble observer François Lebrun.

      Enfin une autre de mes surprises est de constater que dans les registres des paroisses avoisinantes il n’y a aucune trace d’une augmentation de la mortalité à ce moment.

      Je pense donc que l’un des étangs (il faudrait que je retrouve son nom, c’est le plus vaste, au nord) avait été contaminé par un premier malade, homme ou animal. Probablement qu’on y rinçait aussi le linge.

      Depuis j’ai découvert qu’à Chemillé, fin XIXe début XXe (impossible de vérifier j’ai rendu le livre à mon père) il y eu une série de décès qui allait augmentant au fil du temps dans la paroisse de Notre-Dame, et aucun dans les autres paroisses de la ville, ce qui ne manqua pas d’intriguer.

      Au bout de plusieurs mois, on se rendit compte qu’un premier malade (probablement contaminé ailleurs) était décédé et qu’on avait lavé son linge, draps et vêtements, après sa mort, dans le lavoir. C’était lui le malade 1. Or la même nappe d’eau alimentait la fontaine/pompe où on venait chercher l’eau de boisson. On condamna tous les dispositifs connectés à cette nappe et aussitôt les décès disparurent. (J’imagine le travail de nos grand-mères obligées de faire plusieurs kilomètres pour aller chercher l’eau de boisson, cuisine et lavoir ! (et ça grimpe comme j’ai pu le constater cet été ! )

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  1. Cette fois c’est mon commentaire qui s’est envolé trop vite… bon, on va y’arriver… Enfin, on essaie !
    Je n’avais jamais entendu parlé de la maladie de « la pourpre ». J’ai trouvé quelques infos. 1719 a été une année
    « Au typhus, à la variole ou à la « fièvre pourpre » étaient souvent associées la disette et la dysenterie, deux calamités quasi inséparables. La dernière était due aux mêmes causes que les typhoïdes et sévissait le plus souvent en été. Durant la canicule de 1718-1719, on estime que 450 000 petits Français en moururent, pour une population d’un peu plus de 20 millions d’âmes. » (extrait : Survivre à la Renaissance, Curieuses histoires.net)

    Bon. J’espère qu’on avancera vers des infos plus réjouissantes. Déjà, en ces temps-là, on notait davantage les catastrophes que les bonnes nouvelles ! Les temps ont changé, mais pas la nature humaine !

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