Dans un registre de sépultures de Sainte-Gemmes-sur-le-Loire, figure un acte concernant la mort d’un pauvre jeune homme mendiant et « cherchant sa vie », expression que j’ai déjà rencontrée à maintes reprises. (Voir Chercher sa vie).
La lecture de cet acte nous apprend que ce jeune homme portait sur lui non seulement un chapelet, ce qui lui a valu d’être inhumé en terre consacrée, mais aussi une lettre que le prêtre a, fort heureusement, pris la peine de retranscrire, nous dévoilant ainsi quelques bribes de sa vie.
Le lundy vingt et sixiesme mars 1629 fuct enterré, par moy curé soubz signé, en my la terre saincte du Grand Cimettiere de seant, le corps
dedeffunt Urban BOSSIN d’un pauvre jeunne garson mandiant sa vie, lequel estoit logé en unne metterrie, size en nostre paroisse de Saincte James sur Loyre ou demeure a presant René GORGE mettaier, auquel deffunct fuct trouvé un pettict chappellet qui estoit signe de crestien et unne lettre en laquelle est ecript :« Nous prieur des Loges avons donné charge à Urban BOSSIN de nous faire un millier de brueres* dedans les bois de Monsieur le Conte de Monssoreau qui le nous a permins. Nous supplions au forestier de ne luy faire point de mal. Escript des Loges ce xi de desembre 1628 »
et ledit corps a esté enterre es presence dudit GORGE et Mathurin SANSON et aultre, lesquel ont dict ne signer.
Nous ne saurons jamais si ce jeune garçon et Urbain BOSSIN sont une seule et même personne. Le prêtre lui-même semble avoir hésité puisqu’il a barré après coup le nom du défunt. Nous ne saurons pas non plus s’il a pu, pendant les quatre mois qui se sont écoulés entre la rédaction de la lettre et sa mort, accomplir sa tâche. ..
Aux dates qui nous intéressent, le comte de Montsoreau était alors René de Chambes, fils de Charles de Chambes et de Françoise de Maridor, qui inspira à Alexandre Dumas La Dame de Monsoreau. Ce fils – tout comme son père avant lui – avait la réputation d’être brutal et violent et peut-être est-ce la raison pour laquelle l’auteur de la lettre invoque la clémence du forestier, c’est-à-dire du sergent assurant la protection des bois du Comte de Montsoreau. Ce René de Chambes finit d’ailleurs très mal. Accusé d’être faux-saunier et même faux-monnayeur, il fut contraint pour éviter la mort de s’exiler en Angleterre, où il mourut en 1649.
Il est difficile de situer exactement les bois du Comte – ce dernier devait d’ailleurs en posséder un grand nombre ! Cependant, le prieuré des Loges, situé actuellement sur la commune de La-Breille-les-Pins, anciennement La Breille, est, comme on peut le voir sur cet extrait de la carte de Cassini, complètement entouré de forêts.
Voici ce qu’en dit Célestin Port : « Loges (les) – La terre de ce nom, située en pleine forêt, appartenait à Gautier de Montsoreau, qui en fit don dans les premières années du XIIe s. à Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud. Un prieuré important, avec église dédiée à Notre-Dame, y fut établi à l’entrecroisement de plusieurs voies antiques, sur les confins d’un domaine appartenant à l’abbaye de Bourgueil, qu’un arbitrage d’Etienne de Marchay délimita en 1168. »
Une dernière chose m’intrigue, c’est le mot « bruere » cité dans la lettre. Le jeune garçon doit en faire un millier, ce qui n’est pas rien ! J’aurais volontiers vu dans ce mot, une déformation de « branche » ou de « buche », car je ne vois pas comment on peut faire des bruyères…, mais les auteurs du Glossaire du patois Angevin, Verrier et Onillon, citent justement à l’entrée « bruere », le passage de cette lettre et n’en disent pas plus… Je garde donc leur interprétation pour le moment…
J’ajoute quelques photos prises à Beaufort, aux alentours de 2004, d’une loge que mon oncle, Raymond Delavigne, a connue en parfait état lorsqu’il était enfant et qui illustrent admirablement ce que l’on faisait avec des « bruères »…
MaJ – Janvier 2017
Notes, sources et liens
- Prieuré fontevriste des Loges ( Blog Prieurés Fontevristes).
- Généalogie de la famille De Chambes (Site Racines et Histoires).
- Château de Montsoreau.
Image à la Une
- Château de Montsoreau ( Wikipedia).
Bonjour
Je pense que ces bruyères pouvaient être utilisées pour faire des toitures de bâtiments annexes par exemple :
On en voit encore dans les environs de la forêt de Chandelais a Baugé(49)
Également pour faire des clôtures ou balais …..
Simple supposition
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les bruyères étaient aussi mises en fagots et utilisées pour allumer le feu (de cheminée). Mille fagots nous semble beaucoup aujourd’hui mais n’avait rien d’étonnant à cette époque où les bruyères ne manquaient pas.
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-Urban était peut-être chargé du défrichement des bruyères,qui permet de cultiver le froment,le trèfle etc…
-On couvrait aussi de « brande » qui est une variété de bruyère les dépendances ,hangars ou abris extérieurs.On pouvait en faire des fagots.
-La bruyère,outre ses vertus thérapeutiques, était autrefois considérée comme une plante magique, ayant des vertus protectrices .
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-On pourrait en effet comprendre quelque chose comme « un millier de [fagots de] bruère » par ellipse…
-Et pour la bruyère magique, voir ici :
http://plantes-magiques.fr/bruyere-article-4634,299,fr.html
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En Suisse on parlerait de tavillons et anciennement d’encelles, j’en ai vu fabriquer encore il y a quelques années, on débite les buches en fines planchettes plates. Au XVIIIem siècle le prix payé pour 1000 encelles équivalait à celui d’une journée de travail. On les utilsaient pour les toitures et pour protéger les façades exposées au nord. Aujourd’ui la tôle peinte les remplace car elle ne prend pas feu.
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-Les » Loges Angevines »,construites de troncs,de branches,de brande ou de bruyères.
-Chez mes grands parents,on y remisait » la chârte »(pour charrette),et autre matériel.
-Une chârtée de foin.
-Tomber par le cul de la chârte…
https://books.google.fr/books?id=9YLf27Ka0NYC&pg=PA294&lpg=PA294&dq=les+loges+angevines&source=bl&ots=2_tdetmL5v&sig=qmLbvcBkq5s3gaJtQOvgZcdfP5k&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjqjYi77c3PAhWsKcAKHSlvAOMQ6AEIQDAG#v=onepage&q=les%20loges%20angevines&f=false
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Ces « loges angevines » utilisaient effectivement la bruyère comme l’un de leurs matériaux. Merci pour ce lien.
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Au sujet des papiers trouvés sur les morts qui marchaient sur les chemins, j’ai beaucoup aimé cette étude de l’historienne Arlette Farge :
Le bracelet de parchemin. L’écrit sur soi au XVIIIe siècle, Paris : Bayard 2003.
L’as-tu lue ?
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Non, mais merci pour la suggestion. Je vais y songer pour Noël…
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Ce jeune homme avait l’autorisation de mendier.
Dans le bois, il recherchait, soit un aliment, soit un élément de troc, soit un produit à revendre.
Bruères = pourquoi pas bruyère ?
Utilisation dans Wikipédia
– Le rhizome d’Erica arborea, ou bruyère arborescente, est essentiellement utilisé pour la confection de fourneau de pipe grâce à la grande résistance à la chaleur et au feu de son bois.
– Les sommités fleuries, préparées en cataplasme, soulagent les engelures et les douleurs rhumatismales.
– La bruyère (grâce à l’éricodine) est un antiseptique de l’appareil urinaire et un diurétique; elle guérit des cystites et infections de la vésicule, et traite calculs rénaux et biliaires. Dépurative et désintoxiquante, elle soulage arthrites et goutte.
– La bruyère fait partie de la recette de la bière traditionnelle écossaise Heather Ale, dans laquelle elle joue un rôle d’aromatisation en lieu et place du houblon.
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